Le 21 mars dernier, le Hub des Territoires accueillait une rencontre entre aménageurs et chercheurs, organisée par le Comité Scientifique du Club Ville Aménagement en partenariat avec la Banque des Territoires et l’Institut pour la recherche de la CDC.
Dissocier foncier et bâti pour les activités économiques
Face aux défis conjugués de la sobriété foncière et de la nécessité d’une offre de foncier à vocation économique, de nouvelles modalités d’aménagement s’imposent, conduisant à un retour en grâce du bail à construction. C’est le thème de la seconde table ronde de la journée qui réunissait Laurent Girometti (Directeur Général EPA Marne / EPA France), Romain Harlé (Consultant – FCL Gérer la Cité) et David Bellanger (directeur de l’immobilier et de l’investissement à la SERL) autour de Marie Llorente (économiste de l’aménagement // Consultante chercheure et enseignante à l’école d’urbanisLes défis budgétaires (liés à la rétrocession des espaces non bâtis face et à la trajectoire des finances publiques) qui pousse à réfléchir aux usages et aux fonctions des espaces livrés. me de Sciences Po).
La table ronde s’engage par un rappel historique, soulignant que notre conception actuelle du droit de propriété n’a pas toujours été la règle et que dans le passé des formes différentes du droit de propriété co-existaient.
Une approche internationale permet d’observer des modèles différents sources d’inspiration. L’exemple, souvent cité, du Parc d’Activités Savoie Technolac (Chambéry) est ainsi influencé par la proximité avec la Suisse qui cultive les montages en dissociation.
Les montages en dissociation peuvent être pertinents notamment au vu des objectifs suivants poursuivis par les acteurs publics aujourd’hui :
- La facilitation de l’accès à la propriété ;
- La lutte contre la spéculation immobilière et la volonté de capter une partie de la survaleur qui pourrait apparaître dans le temps au bénéfice du propriétaire foncier ;
- La maîtrise de l’évolution du territoire à très long terme (maîtrise de l’occupation, lutte contre le risque d’éviction des activités les plus fragiles…).
L’EPAMARNE dispose d’une expérience ancienne datant de la constitution de la ville nouvelle de Noisy-Mont d’Est. Cette pratique du bail emphytéotique et des baux à construction (BAC) pour la réalisation de bâtiments tertiaires a permis à l’EPA de garder le lien avec la propriété et devient un levier pour gérer le long terme. Une étude a été confiée à la SCET et à un cabinet notarial pour explorer les hypothèses de montage d’une future zone d’activités en analysant la structure de portage, les valeurs de loyer, les entreprises cibles et les conditions de fin de bail.
Les interventions nourrissent un débat orchestré entre les intervenants sur :
L’aménageur et la temporalité : les baux à construction ont des durées très importantes (de l’ordre de 60 ans) qui correspondent à minima à deux cycles immobiliers jalonnés d’événements (départ d’une entreprise occupante et valeur de son droit résiduel ; besoins de réinvestir…). Des rendez-vous réguliers entre le propriétaire et son occupant sont indispensables pour « garder le fil » et cadrer le dialogue aux étapes majeures de la vie de l’entreprise. Dans une perspective de sobriété foncière, le BAC peut faciliter l’action s’agissant notamment de la reconversion des zones économiques.
L’aménageur et le bilan : il s’agit d’un véritable changement de paradigme puisque le montage en BAC remplace une recette certaine (la charge foncière) par la perception d’une redevance, celle-ci pouvant être :
- Soit payée en une fois,
- Soit payée annuellement avec des incertitudes (risque lié à l’évolution de la valeur sur longue période, risque de défaut de paiement…).
L’arbitrage entre les deux options nécessite un outil de comparaison des flux de valeur (montant de la redevance, TRI du financement, nouvelles compétences) et la charge foncière. Cela implique d’établir une valeur théorique finale de l’actif, mais cet exercice est soumis à de nombreux aléas. La valeur dépend fortement des conditions de la discussion et des contraintes des acteurs, ce qui amène à parler d’une « valeur de discussion ». L’obsolescence de l’actif et les provisions à intégrer compliquent également cette évaluation.
Pour la SERL et l’EPA, au-delà de l’indispensable modélisation économique, la commande politique reste centrale et renvoie à une stratégie publique plus globale (maintien de la production en ville, soutien à une filière…).
Le besoin en fonds propres est très important (plus de 20%), nécessitant un emprunt à très long terme (à l’exemple du prêt Gaia de la Banque des Territoires[1]). Le travail sur le TRI est indispensable pour consolider le financement de l’opération, malgré la fragilité de la valeur finale. La redevance est alors une conséquence des objectifs de financement du projet, sans lien direct avec la valeur de marché. Il est donc crucial de vérifier l’attractivité du produit sur le marché.
L’aménageur et la commercialisation : les montages en dissociation suscitent un enthousiasme certain dans la sphère publique. Leur attractivité pour les opérateurs économiques reste toutefois incertaine.
Hors des situations où la dissociation s’impose du fait de la position monopolistique de l’apporteur foncier (exemple Chambéry, proche de la Suisse et avec un foncier très limité ou la zone aéroportuaire Aeroliance pilotée par Grand Paris Aménagement), il est nécessaire de cibler les types d’acteurs potentiellement intéressés lorsque subsisteront des régimes de propriétés distincts. On identifie les grands comptes, les PME en location et les entreprises en développement (trois catégories chez qui la dimension patrimoniale n’est pas centrale).
La table ronde se conclue par quelques éléments de prospective. Pour l’avenir, il est suggéré d’intégrer les leviers du BRS, désormais outil clé des politiques de logement, au service du développement économique au-delà de ce qu’autorise l’actuel BRSA. La question de l’aide publique (TVA réduite ou décote foncière) reste cruciale pour les équilibres financiers du foncier économique (plus encore en renouvellement).
L’innovation porte également sur les outils de portage, à l’exemple du travail réalisé par la SERL en lien avec la Banque des Territoires et la CCI à Belleville sur Saône, ou dans l’Ain, avec une structure réunissant acteurs publics (51%) et industriels pour dépasser les freins à sortir du modèle patrimonial classique.
Dans cette table ronde exploratoire, la richesse des échanges montre la diversité des problématiques rencontrées. La recherche est encore peu mobilisée sur ces thèmes à l’exception relative des acteurs du droit (cabinets d’avocats, notaires). Des travaux existent pourtant, notamment portés par le CEREMA[2] ou la fondation pour les terrains industriels de Genève[3], qui pourront enrichir la discussion.
[1] https://www.banquedesterritoires.fr/produits-services/prets-long-terme/pret-gaia-territorial
[2] https://doc.cerema.fr/Default/doc/SYRACUSE/600443/le-bail-a-construction-outil-de-maitrise-fonciere-au-service-du-developpement-economique