Préserver l’ambition des espaces publics après leur livraison

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30 Mai 2025

Le 21 mars dernier, le Hub des Territoires accueillait une rencontre entre aménageurs et chercheurs, organisée par le Comité Scientifique du Club Ville Aménagement en partenariat avec la Banque des Territoires et l’Institut pour la recherche de la CDC.

Préserver l’ambition des espaces publics après leur livraison

Comment mieux articuler aménagement de l’espace public et gestion ultérieure dans un contexte de crise des finances publiques ? La question monte au sein des collectivités et chez les opérateurs de l’aménagement, tandis que les travaux issus de la recherche éclairent le sujet sous de nouveaux jours. Autour d’Isabelle Baraud-Serfaty (Consultante-chercheuse, enseignante à Sciences Po Paris et membre du Comité Scientifique du CVA), Vincent Lermitte (Vice-Président de l’Association des Directeurs Généraux des Communautés de France et DGS mutualisé de la Communauté de Communes de Fontenay le Comte-Vendée), Sébastien Chambe (DGA urbanisme et mobilités au Grand Lyon) et Marie-Anne Olivier (directrice de projets à la SPL Clermont Auvergne) en débattent.

La question de la gestion des espaces urbains est une préoccupation croissante chez les aménageurs. Ceci est d’autant plus criant concernant l’espace public pour trois raisons principales : les usages changent ; les collectivités sont de plus en plus contraintes financièrement ; les espaces publics sont davantage végétalisés, désimperméabilisés ce qui exige une nouvelle approche de leur entretien. Du côté de la recherche, sont cités les travaux de David Pontille et Jérôme Denis sur la question de la maintenance[1], ceux de Daniel Florentin sur les réseaux techniques[2] ou de Marion Ernwein sur la gestion des espaces de nature[3] qui apportent de nouveaux éclairages et problématisent autrement la gestion de l’espace public.

Les trois intervenants sont interpellés sur la clarification de leurs enjeux propres et des solutions adaptées à leur contexte.

Vers une redéfinition de l’espace public

Le premier tour de table montre la diversité des attentes adressées à l’espace public et des approches suivant les territoires. Les défis budgétaires (liés à la rétrocession des espaces non bâtis et la trajectoire des finances publiques)  pousse à réfléchir aux usages et aux fonctions des espaces livrés. A Fontenay-le-Comte s’est imposée la nécessité d’une forme « d’intersectionnalité » (entre mobilités, usages habitants…) ainsi que la définition de critères de qualité.

Lyon quant à elle s’est dotée d’une charte des espaces publics en 2020 qui fixe les attentes politiques. L’augmentation de celles-ci a conduit à une augmentation des coûts de gestion, notamment dans le registre des mobilités (séparation entre les modes, systématisation des bornes…). Pour diminuer la pression sur l’espace public, ne pourrait-on pas mobiliser davantage la parcelle privée (stationnement des vélos, pleine terre…) ?

Le constat de la montée en charge de la commande politique sur les espaces publics est partagé. Lorsque l’ambition d’une ville « accueillante, renouvelée, verte » se conjugue avec une recherche de frugalité, il est nécessaire de renoncer à des aménagements coûteux en entretien (fontainerie) et de penser une meilleure articulation entre les différents usages, souscrivant ainsi à l’idée précédente de l’intersectionnalité. Un aménagement sobre en entretien, cela se prépare dès la conception.

Le débat avec la salle rebondit sur le modèle historique de l’aménagement des 30 dernières années, centré sur l’espace public, « comme matrice de production de la ville ». Un participant note que les aménageurs sont peut-être allés un peu loin et qu’ils devront réajuster leurs pratiques.  Pour d’autres, l’espace public doit rester la colonne vertébrale de la fabrique urbaine.

Vers une évolution des pratiques de gestion

La piste logique de la rationalisation de gestion des espaces est souvent en décalage avec la réalité des petites intercommunalités. Ces dernières développent des approches pragmatiques distinguant par exemple la gestion en régie des espaces verts « de petite taille » tandis que les « espaces massifiés » sont externalisés et gérés en prestation pour des raisons économiques.

Les transformations en cours sont profondes et nécessitent un accompagnement humain. Celui-ci est décisif, notamment pour les jardiniers mais aussi pour l’ensemble des agents en charge de l’espace public qui doivent accepter des espaces « moins parfaits et plus vivants ».

Un participant renvoie la question du lien entre attentes habitantes et gestion, à la notion de communs déjà évoquée lors du débat sur les BAC.

Vers une articulation entre aménagement et gestion

L’injonction « plus d’espaces et moins de moyens » a poussé le Grand Lyon à chercher des solutions par le dialogue. Grâce à ses services puissants, la collectivité peut intégrer des logiques amont/aval, intervenir en régie, mettre en place des outils et des cadres de validation, créer des référentiels pour les maitres d’œuvre et utiliser l’intégration numérique pour éviter la perte d’information.

Le Grand Lyon travaille aussi à un meilleur appui financier pour l’aménagement au bénéfice de la gestion. Cela concerne la prise en charge des premières années d’entretien (sur le végétal, sur les aménagements transitoires…), l’appui à l’investissement (par exemple véhicules d’entretien des voies). De nouvelles formes contractuelles sont en test intégrant le principe d’une réintervention sur des espaces livrés pour favoriser leur adaptation.

Une approche plus intégrée des défis de la transformation de l’espace public est sans doute nécessaire, en allant par exemple au-delà d’un simple renouvellement de la chaussée lors des opérations de maintenance. Et pourquoi les bilans d’aménagement n’intègreraient pas une part de renouvellement des espaces publics existants dans les ZAC ?

En conclusion, il est souligné que le seul fait de parler d’économie de l’espace public constitue une nouveauté ; un « tabou aurait ainsi été levé », non pas pour « faire à l’économie » mais pour aménager en intégrant les dimensions économiques de la production mais aussi de l’entretien des espaces publics. Dans cette logique, il ne s’agit pas tant de renoncer à aménager que de faire autrement, en assumant une priorisation raisonnée des projets. Cela implique de penser l’aménagement dans le temps long, en intégrant pleinement les dimensions humaines et quotidiennes de la gestion des espaces publics. La connaissance fine qu’ont les jardiniers des collectivités, les régies techniques, les équipes de terrain, constitue une ressource précieuse. Il faut reconnaître la valeur d’espaces moins parfaits mais plus habités, plus souples, plus vivants. La question n’est plus seulement de concevoir un espace, mais de l’animer, de le faire vivre dans sa diversité d’usages. Cela suppose d’accepter une part d’informel et de permettre une intensification des pratiques urbaines. En matière d’expertise, cela appelle à une approche renouvelée : comprendre un espace à travers ses usagers, ses gestionnaires, ses temporalités, pour mieux le programmer, l’aménager, l’adapter. Cela demande une ingénierie plurielle, mobilisant à la fois des compétences techniques, sociales, écologiques et sensibles, réunies au sein d’équipes de maîtrise d’œuvre à l’écoute du territoire, capables de dialoguer avec ses complexités plutôt que de les standardiser.

[1] https://www.editionsladecouverte.fr/le_soin_des_choses-9782348064838

[2] https://shs.cairn.info/revue-flux-2022-2-page-32?lang=fr

[3] https://metropolitiques.eu/Qui-jardine-la-ville-Pour-une-ecologie-urbaine-politique.html

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