Le 21 mars dernier, le Hub des Territoires accueillait une rencontre entre aménageurs et chercheurs, organisée par le Comité Scientifique du Club Ville Aménagement en partenariat avec la Banque des Territoires et l’Institut pour la recherche de la CDC.
Transformer des bâtiments tertiaires en logement
La première table ronde de la journée animée par Hélène Nessi (chercheuse au LAVUE – Paris Nanterre et membre du Comité Scientifique du CVA) visait à mieux comprendre le potentiel de la transformation du tertiaire en logement. Elle organisait l’échange entre Nicolas Binet (Consultant et copilote du Groupe de Travail « Habiter » du Club ville Aménagement) et Alexandre Coulondre (chercheur associé au Lab Urba – Université Gustave Eiffel, et spécialiste des données et des marchés immobiliers).
Dans un contexte de raréfaction du foncier et de crise du logement, la transformation du bâti tertiaire vacant — des bureaux, mais pas seulement — en logements apparaît comme une piste prometteuse.
Les travaux du groupe « Habiter » actif depuis 2023 concluent à l’impératif de la rénovation : revitalisation des collectifs, recyclage de l’activité et travail sur les centres anciens sont essentiels, c’est l’idée de « réparer avant tout ». Dans cette optique, le groupe s’est intéressé à la conversion du bureau en logement, particulièrement pertinente en période de crise conjuguant pénurie de logements et suroffre de l’immobilier de bureau. En Île-de-France aujourd’hui, sur 32 millions de m² de bureaux, 5,5 millions sont vacants et ce chiffre pourrait doubler d’ici 2030. Actuellement, environ 25 000 m² sont en cours de transformation en logements, un volume modeste par rapport aux défis en matière d’habitat.
La recherche conduite en équipe (Alexandre Coulondre, Anne d’Orazio, Anne-Laure Jourdheuil et Claire Julliard en lien avec l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts[1]) mobilise les données de la base Sitadel2, qui recense toutes les autorisations d’urbanisme, pour évaluer la transformation des bâtiments d’activité en logements. La première étape caractérise les bâtiments d’origine en distinguant les surfaces transformées en logements de tous types de locaux d’activités (TAL), de la sous-catégorie des seules surfaces tertiaires (TTL). Ensuite des seuils ont été introduits pour caractériser la transformation (plus de 50% de surfaces transformées, moins de 25% de surfaces démolies).
En 10 ans (2013-2022), environ 216 500 logements ont été créés, soit 5% du nombre total de logements de la période, avec une accélération annuelle : de 18 000 logements/an au début des années 2010 à plus de 25 000 en 2021-2022. Le panorama diffère des discours ambiants en pointant que les m² de bureaux ne représentent que 24,5% des logements créés. En associant les commerces (12%), les locaux de service public (13,8%) et les hébergements hôteliers (9,3%) la part du tertiaire passe à 60%. La part des locaux agricoles est significative (22,2%).
La recherche dévoile une « transformation ordinaire » faite d’opérations diffuses et de petite taille (1 à 2 logements), qui amène l’équipe à définir des « régimes territoriaux de transformation » et à produire des cartes sur l’origine des locaux transformés. Une première typologie distingue grands centres urbains, pôles urbains secondaires, couronnes péri-urbaines et milieu rural. Différents régimes de production apparaissent selon l’origine du bien (agricole ou bureau) et la nature du maître d’ouvrage (particulier ou opérateur immobilier). La focale du tertiaire (TTL) recentre la géographie surtout sur l’Île-de-France.
La nature des logements produits est similaire au neuf en termes de logements sociaux (18,8%). En revanche, la part des résidences (étudiants, personnes âgées) est beaucoup plus élevée (21,4% contre 8%).
Les obstacles qui limitent la transformation du bureau en logements sont nombreux :
- Politico-financier : Le bureau est une source de revenus pour les collectivités, même en cas de vacances via la taxe foncière.
- Sociétal : objections des riverains, l’usage résidentiel n’est pas toujours bienvenu, le bureau étant très neutre (pas de bruit, présence décalée).
- Technique : épaisseur des bâtiments, normes, règles applicables (incendie). La situation en Île-de-France est singulière avec une diversité des morphologies bâtimentaires.
- Financier : ces actifs ont une valeur au bilan qui n’a pas été dégradée au fil du temps. Céder ou transformer un bien dont la valeur peut être nulle voire négative est un défi pour les propriétaires (privés comme publics).
- Réglementaire : effets de zoning encore très forts dans les PLU et manque de fluidité urbaine qui ne facilite pas la reconversion.
Ces reconversions soulèvent de nombreuses interrogations, tant politiques, techniques qu’économiques, qui freinent son déploiement à grande échelle. Les échanges avec les participants soulèvent de nombreuses questions sur les montages économiques, les perspectives pour d’autres types de locaux (commerces) et la qualité urbaine des opérations produites. La recherche continue, notamment en explorant les montages économiques avec de nouveaux échanges en perspective. Voici quelques points de débats soulevés lors de la discussion.
D’un point de vue politique, le choix de transformer des surfaces de bureaux en logements peut apparaître contre-intuitif pour les collectivités. En effet, le bâti tertiaire constitue une source importante de recettes fiscales via les taxes foncières, les taxes sur les bureaux et d’autres redevances spécifiques. À l’inverse, les logements, notamment familiaux, induisent des dépenses publiques supplémentaires liées à la création ou à l’adaptation d’équipements collectifs : écoles, crèches, équipements sportifs, etc.
À ces considérations s’ajoutent des obstacles d’ordre technique et morphologique. Nombre de bâtiments de bureaux vacants ont été conçus avec des profondeurs de plateaux importantes, peu compatibles avec les standards résidentiels.
La situation est encore plus complexe en Île-de-France, où certains bâtiments possèdent une valeur comptable élevée inscrite dans le bilan des entreprises, ce qui rend leur transformation économiquement dissuasive, en raison de la perte de valeur patrimoniale induite. Dans certains cas, il faut attendre une forme de dévalorisation progressive — parfois sur plusieurs années — pour que la reconversion devienne envisageable.
Enfin, les règles d’urbanisme constituent un autre verrou. Les PLU, souvent conçus selon une logique de zoning, ne favorisent pas la mixité fonctionnelle. Dans de nombreux cas, les quartiers exclusivement tertiaires manquent d’infrastructures, de commerces ou d’espaces publics adaptés à la vie résidentielle.
[1] https://www.caissedesdepots.fr/blog/article/la-transformation-des-locaux-dactivites-en-logements
Article plus complet ici : https://hal.science/hal-04902025